Quel curieux manège
Ft @Conaid Jarvinen
Depuis les funérailles d'Aarne, je vis au jour le jour.. Je n'arrive tout simplement pas à poser des objectifs, ni à prévoir l'avenir. Je vis dans l'instant et le présent. Mais tout me paraît si.. Fade. Le plus dur est le silence. Après deux ans environ à entendre ces notes et chant familiers.. Ne plus rien entendre est terrible. Tout s'en est allé avec lui. Le Chant.. La Marque.. Il n'y a plus rien. Rien que des souvenirs. Des mots sur une page griffonée, que je garde précieusement. Des dessins et portraits.. Des tickets de restaurants que j'ai gardé également..
Mais de nous deux.. Il n'y a plus guère d'autres traces. Je n'arrive pas.. A exprimer cela. J'ai toujours gardé mes sentiments et réflexions pour moi.. Et dans ce maelström qui m'envahit.. J'essaie de me réfréner. J'ai repris l'entraînement physique, espérant m'épuiser suffisament pour que le traumatisme de cette nuit là ne me hante pas autant, mais c'est peine perdue. Je pourrais me confier, oui. Mais Alba ne donne plus vraiment de nouvelles, sans doute est-elle elle-même bien trop occupée.. Et même si c'est la vocation de Rafael de recueillir les paroles et doutes de ceux venant à lui.. Je crains de l'effrayer en lui exposant tout cela. Il en a déjà bien assez fait en m'aidant à ensevelir dignement mon AS discrètement.. Je ne veux pas lui rajouter de poids sur les épaules.
Et quand l'entraînement ne suffit pas. Quand le violoncelle ou les échecs n'arrivent plus à m'apaiser l'esprit... Je me retire au dehors, galopant sous ma forme de cheval. De longues foulées, des sauts de troncs d'arbres. Je me laisse aller à ces sensations animales. Je reste humain mentalement.. Mais les instincts équidés sont une maigre source de réconfort. Les transformations dans un sens puis dans l'autre sont fatiguantes en elles-mêmes. Cela m'apporte un repos réparateur pour quelques heures.. C'est déjà ça.
Ce jour là, il fait beau.. Et je gambade avec insouciance, juste pour le plaisir de courir, crinière au vent.. Mais cette trêve ne dure pas, alors que je me rapproche d'une structure que je connais vaguement pour y être déjà en visite.. Avec mon géniteur il me semble, j'entend une détonation... Et j'augmente mes foulées en réponse. On me canarde?
Ni une ni deux, j'entre dans les pâturages et me mêle au troupeau présent. Je demeure prudent, et tente d'être aussi calme qu'eux. Qu'on ne me remarque pas... J'essaie dans le même temps de repérer le chef de la harde. En général un étalon jeune et puissant.. Sans compter une jument à qui il manque parfois une case.. Qui la plupart du temps alerte des dangers. Si je pouvais éviter la confrontation.. Mais les chevaux sont espacés, chacun dans son coin à brouter, et les imitant, je baisse la tête, les naseaux à ras le sol, tous mes sens aux aguets... Moi qui pensais faire une boucle de parcours et retourner dans le coin où j'ai planqué mes affaires sans me faire remarquer... Mieux valait pour moi que ces tirs ne me concernent pas vraiment. Si ça devait durer.. Rafael et mes amis Animorphes m'avaient dit quoi... 2 jours environ maximum sous forme animale, au risque de s'y laisser piéger?
Je vois des silhouettes aux abors des champs, mais je ne remonte pas la tête, ne fais pas de signes suspects. Les chevaux sont placides, autant faire de même... Peut-être que le proprio ne s'en formalisera pas.. Au pire.. Je pourrais prendre la pourdre d'escampettes à un moment ou un autre..
Je l'espérais du moins.
Là, l'un des chevaux m'approchent, me flaire... Et s'il conçoit que je ne suis pas des leurs, ne me chasse pas pour autant.. J'en connais le langage... Et ses allures souples titillent ma curiosité... Lui me pousse du museau, s'élançant au trot, puis au galop, longeant les clôtures comme au manège.. Pourquoi pas. Hénissant en acceptant le défi, je m'élance à mon tour, tâchant de le rattraper.. Voilà longtemps que je n'avais plus joué à ce jeu.. Saurais-je me maintenir à sa hauteur?
Et dans l'enivrement de ce challenge, je ne pense plus à rien d'autres. Ni aux tirs, ni au propriétaire de ces chevaux qui bientôt arrivera certainement pour les installer aux écuries.. Non. Ne compte que l'instant, la course et le vent que je fends. Le sol est solide sous mes sabots, des mottes de terres volent par moment.. Là. J'atteins le niveau de sa croupe et accélère encore. Lui allonge ses foulées en réponse.. Il est puissant et fier. La course est incertaine...
D'autant que ni l'un ni l'autre ne semble vouloir décrocher..