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Gugusse et Guenilles
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Il s'était perdu dans les rues comme d'autres se perdent dans leurs souvenirs. Ici, tout était nouveau. Tout était différent. Du français coloré que parlaient les natifs avec un accent pire encore que celui de la côte d'azur jusqu'à l'émotion qui le saisissait sans cesse, tordait son estomac, lui mettait des étoiles dans les yeux et le faisaient sourire. Enfin, il était libre. Enfin, il était lui. Ils étaient deux. Même quand il était seul, il avait cette marque. Cette marque qui lui rappelait sans cesse que les années de deuil étaient terminées. Qu'il pouvait vivre à nouveau.

Et l'appel de l'alcool, derrière, qui ne le quittait pas. Pour fêter les retrouvailles. Pour passer le temps pendant qu'elle n'était pas là. Pour gouter les spécialité régionales. Avait-il seulement besoin de se justifier, à son âge. Lorsque le démon frappait, il tentait de son mieux de lutter. Ses mains tremblaient. Son coeur s'accélérait. Il lui fallait accélérer le pas, pincer les lèvres, penser à autre chose.

C'était ainsi qu'il avait découvert le Gugusse et Guenilles. Un petit antiquaire posté non loin d'une cave à fin qui lui avait fait de l'oeil. Rien que le son de la cloche lorsqu'il poussa la porte était différent des autres. C'était une clochette argentée. Peut-être en argent réel. Son son cristallin fit à l'oreille exercée d'Arkadiy le même effet qu'un saut d'eau sur la tête. Il se détendit. La vague de manque recula, prête à fondre sur lui à une nouvelle occasion.

"Bonjour, je peux vous aider ?" Le vieil homme qui tenait le magasin avait la tête que l'on imaginait pour tous les tenanciers de pareils établissements. Doucement, le musicien sourit, ses doigts gantés de soie frôlant machinalement un service à thé en porcelaine de Limoges. Les dessins fleuris lui rappelèrent l'Izba où il avait passé tant de temps, plus jeune.

"Je regarde." répondit-il tranquillement, sa voix chaude se perdant dans la poussière du mur. "Comment vont les affaires ?"

"Pas très bien j'en ai peur. La seconde main passe maintenant par des sites internets et des grandes enseignes. Personne n'a d'intérêt pour la vieillerie d'art. J'ai bien peur de devoir fermer quand je prendrais ma retraite. Avant peut-être même si l'épidémie s'en mêle."

"Dieu nous en préserve." reprit doucement Arkadiy. Il attrapa une lampe recyclée à partir d'une lanterne de train en cuivre. La reposa précautionneusement. C'est alors qu'il vit la pépite de l'endroit. Un violon. Tzigane visiblement. Usé bien sûr. D'un siècle au moins. Que faisait-il ici. Pourquoi ? Si ce n'était pour qu'il le trouve ? Sonnait-il bien seulement ? "Vous avez beaucoup d'instruments de musique ?" Il désigna son trésor.

"Parfois. Des héritages ou bien des jeunes qui reçoivent l'instrument à un anniversaire, s'en lassent et le revendent contre une console de jeu."

"Je vois..."

Gugusse et Guenilles Br2l



Ven 25 Aoû 2023 - 22:08
Arkadiy Oriyol
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Je déambule dans les ruelles de Montréal, admirant cette ville si grande et si belle que je ne connaissais pas encore. Les hauts gratte-ciels pourraient attirer mon regard vers les cieux, mais c'est à hauteur d'hommes que mon attention se focalise. L'endroit regorge de petites boutiques comme je les aime tant, chacune ayant son histoire, son caractère, son identité. J'avise alors un antiquaire non loin. J'ai toujours beaucoup aimé ces endroits où l'on peut trouver tout et n'importe quoi, surtout n'importe quoi, et qui ont l'odeur de la nostalgie d'une époque que l'on n'a jamais connue. Lorsque je rentre jeter un œil, je suis surprise de constater que l'endroit est presque vide. Il y a juste un vieil homme que j'imagine être le gérant, puisqu'il a l'air d'avoir le même âge que sa marchandise, et un client qui examine les bibelots devant lui. Je commence moi aussi à faire le tour des rayonnages, en laissant traîner mes oreilles. Ce n'est pas très élégant, mais c'est souvent très instructif. C'est en vain cependant, les deux hommes parlent en français, et je ne comprends pas cette langue. Toutefois, le ton utilisé me permet de percevoir un peu de découragement chez le vieil homme, et vu le peu de clients qu'il y a dans sa boutique, je n'ai pas de mal à comprendre que le commerce ne marche pas très bien. C'est dommage, me dis-je en caressant du bout des doigts un vieux et volumineux coffre en bois. Mais je suis une idée très simple pour mener mes affaires, depuis toujours : je me dit que je n'ai rien d'extraordinaire. Je suis banale, exactement comme tout le monde. Donc si j'aime cette boutique, d'autres doivent l'aimer aussi. Il faut juste la leur faire connaître. C'est d'ailleurs un souci récurrent chez les petits commerces que je rachète, ils sont figés dans une façon de travailler depuis des décennies, et ne savent pas en changer. Propulser des petites boutiques sur le devant de la scène en passant par Internet, c'est devenu l'une de mes spécialités. Après une courte hésitation, je décide d'essayer d'engager la conversation, et prononce en anglais à voix assez haute pour me faire entendre :

- J'aime beaucoup ce que vous avez ici, c'est très joli. Il y a longtemps que vous êtes là ?

Il se retourne vers moi. Comme la quasi-totalité des Canadiens, l'homme comprend aussi bien l'anglais que le français, et n'a donc aucun mal à me répondre.

- Toute ma vie, ou presque. Cette boutique était à mon père, je l'ai reprise quand il a voulu se mettre en retraite. Est-ce que vous recherchez quelque chose en particulier ?
- Pas vraiment, dis-je doucement, l'air pensive. Mais j'ai peut-être trouvé quelque chose qui me plaît bien.

L'homme sourit un peu, puis semble se souvenir de quelque chose subitement.

- Est-ce que vous voulez un peu de café ? Ou du thé ? demande-t-il. Et vous monsieur ? reprend-il en français à l'intention de l'autre client.
- Je veux bien un thé à la menthe, je vous remercie.

Le vieil homme installe une petit table et revient avec des tasses apparemment très anciennes, aux motifs de fleurs. Je m'installe et tente d'engager le dialogue avec l'autre individu.

- Bonjour, dis-je en lui tendant la main. Ellen Kürt, enchantée.

L'endroit était aussi charmant que son propriétaire, et je me disais que je n'allais probablement pas tarder à discuter affaires.
Sam 26 Aoû 2023 - 23:06
Ellen Kürt
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Une femme est entrée à sa suite. Il n'y a pas prêté attention. Tout son être est attentif au violon qu'il a repéré et, accessoirement, au gérant à qui il fait la conversation.

Internet, quand on est père célibataire, il faut bien reconnaitre que c'est fort efficace. Il a lui-même beaucoup utilisé les livraisons, évitant ainsi d'aller s'infliger de longues séances de shopping dans un pays étranger, dans une langue étrangère et avec un nourrisson. Pour le tout venant, le quotidien, c'était un outil merveilleux.

Mais l'occident oubliait souvent qu'il y avait des choses qui allaient au delà de la simple possession utilitaire. Des choses qu'on ne pouvait voir lorsqu'on restait piégés par les algorythmes et les suggestions de robots codés pour le consumérisme. Et, également, des choses qu'on ne pouvait acheter sans essayer, quelles que soient les facilités de retour ou de remboursement.

Ainsi, il n'avait jamais perdu son gout pour les rencontres au coin d'une échoppe et le chinage d'objets précieux. Ce violon, s'il pouvait l'examiner, serait un beau cadeau pour Irina au mieux. Un bel objet de collection au pire.

La dame finit par s'exprimer à son tour, en anglais. Peu à l'aise dans cette langue, l'exilé se retourna poliment, la saluant d'un signe de tête qui faisait honneur aux heures qu'avaient passé sa mère à lui enseigner un maintien correct.

"Je merci vous. Café serait bien si cela possible ?"

Sa compréhension était, loué soit Dieu, bien meilleure que sa grammaire. Il aimait les langues et avait attrapé quelques notions de vocabulaire ici ou là qui lui permettait de survivre en terre inconnue. Heureusement pour lui car il avait étudié le français à l'école et chez lui.

Le gérant leur installe une table, sortant des porcelaines plus vieilles encore que le service de Limoge que le Russe avait repéré précédemment. Poli, il tira la chaise de l'inconnue avant de s'asseoir à son tour, soulevant le service pour en chercher l'origine ou la signature sur son verso.

"Enchanté, Madame." fit-il en anglais, donc, puisqu'il semblait qu'il faille converser dans cette langue. "Arkadiy Oriyol, pour servir vous. Je excuser anglais très pas bon. Je pas canadien. Parler français ?"

Son origine transparaissait dans son nom et il en avait bien conscience mais il lui semblait plus poli de le préciser. Tout comme il pensait bien que Kürt soit d'origine germanique sans pour autant qu'il ne s'autorise à sauter aux conclusions.

Gugusse et Guenilles Br2l



Mar 29 Aoû 2023 - 14:06
Arkadiy Oriyol
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En entendant mon voisin s'exprimer, je suis surprise. Je pensais que presque tout le monde parlait l'anglais à peu près correctement, il semble que ce ne soit pas le cas. Encore qu'il arrive tout de même à comprendre ce qui est dit, et que ses réponses sont compréhensibles, à défaut d'être grammaticalement exactes. Et au moins, il est très bien élevé, dois-je rajouter lorsqu'il a l'amabilité de me tirer ma chaise.

- C'est un plaisir, monsieur Oriyol. Je suis désolée, je ne sais parler que le hongrois et l'anglais. Je ne connais pas le français. Mais votre anglais est très correct.

J'essaie de parler un peu lentement en articulant bien, pour l'aider dans sa compréhension. Il examine la vaisselle que notre hôte met à notre disposition. C'est amusant, on dirait qu'il s'intéresse un peu à tout, surtout à ce qui a de l'âge. J'aime beaucoup ce genre d'original. Mon thé m'est apporté rapidement, mais je préfère le laisser infuser un peu. D'une part pour que l'eau soit moins chaude, d'autre part parce que j'aime quand le goût de menthe est bien prononcé.

- Pardonnez mon indiscrétion, mais d'où venez-vous si vous n'êtes pas Canadien, monsieur Oriyol ? Pour ma part je viens de Hongrie. Vous êtes ici en vacances, ou pour votre profession peut-être ?

D'ordinaire la vie des autres ne m'intéresse pas vraiment, mais rencontrer un jeune homme si bien élevé, qui ne parle pas anglais, ici au Canada, qui parle tout de même français, et avec un nom qui sonne Russe.... Oui, définitivement j'aimerais en savoir plus, je suis prête à parier que sa vie vaut largement un mauvais roman de gare. D'ailleurs, n'était-ce pas un violon sur lequel il lorgnait tout à l'heure ?

- Seriez-vous musicien, monsieur Oriyol ?

Ce qui pourrait expliquer cet espèce de côté un peu rêveur que je sens chez lui. D'ailleurs s'il est musicien, ça pourrait être intéressant de l'écouter jouer un peu, peut-être qu'enregistrer un disque pourrait l'intéresser. Il faudra voir.

J'ai beau être ici plus ou moins en vacances, je n'en perds pas le sens des affaires pour autant.
Dim 3 Sep 2023 - 23:31
Ellen Kürt
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Il ne parlait pas bien anglais. En bon musicien, il était sensible à la musique des langues, la façon dont les sons roulaient et se mêlaient les uns aux autres pour former une phrase, une idée. Il ne parlait pas bien anglais, encore moins bien américain ou canadien et pas du tout hongrois.

Malgré l'appartenance passée de la Hongrie au Bloc de l'Est, l'inconnue ne semblait pas non plus parler russe ou, si c'était le cas, vouloir tenter de trouver ce terrain d'entente entre eux. L'important, au final, n'était-il pas de se comprendre ? C'était une des raisons pour lesquelles il aimait tellement la musique. C'était le langage des âmes. Elle passait toutes les barrières, culturelles, langagières, et même les maladresses de l'auteur qui ne serait pas en phase avec ces sentiments.

"Musicien oui. Piano classique. Je Russe."

Il espérait tomber sur quelqu'un d'ouvert qui n'irait pas lui reprocher les bêtises d'un dirigeant autoritariste en mal d'expansion avec lequel il était loin d'être en accord. Il aurait pu, il le savait, se dire ukrainien. Il avait vécu sa plus belle vie à Odessa et pleurait intérieurement en pensant au sort de cette belle ville. Il aurait pu aussi se dire suédois puisqu'il avait passé plus de temps là bas qu'ailleurs. Il était Russe. Il avait du sang Russe. Sa culture. C'était son enfance. C'était sa famille. Même expatrié, il restait Russe de toutes les fibres de son être.

"Je juste arriver dans Canada. Emigrer."

Il y avait beaucoup de compatriotes qui avaient réussi à fuir avant le début de la guerre et se dispersaient un peu partout dans le monde, faisant profil bas. Ce n'était pas pour cette raison qu'il avait fui mais qu'importe.

"Vous, Madame ? Voyage ? Professionnel ? Suivre famille ?"

Certaines femmes suivaient simplement un époux, un frère, un parent, un enfant. C'était ce qu'il avait fait, après-tout. Mais ce genre de comportement était moins accepté pour les hommes. Il n'y avait pas de honte à tout quitter par amour quand on était une femme. C'était moins concevable quand on était un homme. C'était stupide mais c'était ainsi.

Gugusse et Guenilles Br2l



Jeu 7 Sep 2023 - 16:52
Arkadiy Oriyol
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- Oh, un pianiste Russe ? C'est formidable.

Mon ton est un peu admiratif. J'ai beaucoup de respect pour les musiciens, et je dois avouer que les pianistes m'ont toujours fait un peu rêver. Il y a dans l'image qu'ils renvoient comme une poésie un peu romanesque qui n'est pas pour me déplaire. Le côté Russe y ajoute un peu de romantisme. Certes je suis bien placée pour savoir comme ce pays, politiquement, a pu montrer dans son histoire des penchants particulièrement dangereux, mais il faut reconnaître à ses artistes un talent considérable. Et puis les individus ne sauraient être tenus pour responsables des actes de leurs semblables. Je me dis un instant que la vie sociale de ce jeune homme hors de Russie n'a pas dû être facile tous les jours.

- J'espère que vous vous y faites bien. Moi aussi je suis fraîchement arrivée ici. Il y a longtemps que vous avez émigré ?

La question du pourquoi me brûle les lèvres, mais je crains d'être un peu indiscrète. Heureusement, la question de mon interlocuteur me permet d'aborder le sujet.

- Disons que c'est pour suivre de la famille. Mon fils... Mes fils habitent ici. Je viens leur rendre visite. Et vous alors monsieur Oriyol, qu'est-ce qui vous amène à Montréal ?

Je me doute qu'il y a probablement une histoire un peu tragique derrière tout ça, mais je trouve que ce serait impoli de ne pas au moins poser poliment la question. Ça pourrait laisser penser que je me désintéresse totalement de lui. Mais j'estime aussi important de ne pas rester bloqués sur des sujets graves, mieux vaut relancer la conversation sur quelque chose de plus léger.

- Dites-moi monsieur Oriyol, vous avez déjà enregistré vos musiques ? Ça pourrait être intéressant.

Quelque chose me dit que si Yakov était là, il aurait cette petite moue moqueuse qu'il arbore parfois.
Mer 13 Sep 2023 - 18:06
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Il y avait une intensité surprenante dans les mots de la femme qui se tenait devant lui. Comme une admiration dont il n'était pas certain qu'elle soit réelle. Si la musique avait été un vecteur de puissance en Russie Impériale, le communisme était bien moins tourné vers les arts en général, et ceux qui ne servaient pas la Nation en particulier. Si l'on prenait stricto-senso la doctrine, jouer était un acte égoïste car il ne servait que le musicien et les quelques nantis qui l'écoutaient. Les chants guerriers, comme les choeurs de l'armée rouge, avaient petit à petit remplacé les opéras. On ne faisait que re-jouer sans cesse de vieilles choses, déguisées au goût du jour. La Russie pataugeait dans le souvenir. Peut-être était-ce aussi romantique. Un sourire tendre avait rapidement remplacé le sourcil levé de surprise qu'il avait laissé échapper. Il secoua la tête en dénégation avec douceur.

"Un mois pas encore." Ainsi elle suivait ses fils. La jeunesse aimait voyager, ainsi, Irina, avait-elle souvent eu la chance de voir la France avec sa grand-mère et parfois même d'autres pays d'Europe. Lui n'aurait jamais pu lui payer autre chose que les sorties scolaires. Il prit un air plus grave. "Russie, pas en accord avec positions de moi." Ce qui était vrai...et faux. On pouvait croire à des positions politiques, pas juste à un amour vrai contre des puissants. Cela dit, il avait également d'autres opinions politiques, bien qu'il n'ait jamais été assez idiot pour les verbaliser autrement qu'au travers de sa musique.

"Je pas chance cela. Devoir Russie fuir fille avec. Travailler. Professeur musique conservatoire. Parfois je accompagnais chanteurs enregistrés."

Mais les disques étaient restés à Stockolm comme toute la vie d'avant le retour de Faina. Cette vie grise qui n'avait aucun intérêt.

"Si ici piano, je jouer pouvoir, si vous vouloir."

Il avait fixé sans réfléchir ses yeux bruns dans le regard de son interlocutrice, sa voix hésitante mais mélodieuse butant sur la grammaire au moins autant que sur les mots. Jouer était sa vie et frôler les touches noir et ivoire lui manquait énormément. Un clavier n’avait pas la texture d’un vrai instrument. Si cette inconnue lui donnait l’occasion de calmer un peu le manque d’harmonie de son être, elle aurait réellement fait une bonne action..

Gugusse et Guenilles Br2l



Lun 23 Oct 2023 - 19:53
Arkadiy Oriyol
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Je l'écoute attentivement, une partie de mon cerveau - qui ne dort jamais complètement - s'allumant soudainement en l'écoutant. Professeur de musique au conservatoire ? Jamais enregistré ? Ça peut être très intéressant. Je fouille rapidement les environs du regard, avant d'interpeller notre hôte.

- Excusez-moi ? Par hasard, dans toute votre marchandise, est-ce que vous auriez un piano s'il vous plaît ?

Son œil s'allume, comme celui de quelqu'un qui se délecte d'avance de pouvoir discuter d'un sujet qu'il aime, et il revient rapidement vers nous.

- Aaaah, une amatrice de musique hein ? Je l'ai deviné tout de suite en vous voyant ! Venez, venez, vous allez aimer !

Je me lève et invite du geste monsieur Oriyol à m'accompagner. Nous suivons le vieil homme à travers le labyrinthe de son fourbi, amoncellement formidable de bric-à-brac dont on devine que chaque objet est relié à un passé particulier. Nous finissons par arriver dans une petite pièce, dans laquelle le brocanteur soulève rapidement un drap blanc qui recouvre un objet massif. C'est un piano à queue, magnifique pour autant que je puisse en juger. Mais à l'excitation du vieil homme, je devine qu'il s'agit d'un instrument exceptionnel.

- Et voilà ! Un Steinway & Sons ! Il appartenait à un homme d'affaire montréalais qui l'avait acheté pour décorer son salon, il ne savait pas s'en servir. Quand il a fait faillite, les huissiers ont récupéré ça. Je n'ai jamais trouvé l'occasion de le vendre, je ne voulais pas le brader au premier venu qui n'aurait pas su lui faire justice. Il fait un peu partie du bâtiment maintenant, c'est presque un fantôme.

J'effleure doucement l'objet massif du bout des doigts. Je sens tout ce que ce piano peut représenter de sacré pour un musicien. C'est pour ainsi dire un trésor qui nous est dévoilé. Je me tourne alors vers mon jeune compagnon.

- Monsieur Oriyol ? J'aimerais beaucoup vous écouter jouer, si vous me le permettez. Accepteriez-vous...

Je ne termine pas ma phrase, à la place je lui désigne le tabouret d'un geste de la main. J'ai hâte d'entendre son talent s'exprimer.
Sam 11 Nov 2023 - 18:05
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Plus pro-active que lui, l'inconnue interpelle immédiatement le commerçant dont l'oeil s'allume, faisant naître une étincelle d'espoir dans le coeur du musicien ? Se pourrait-il ? Ce serait une coïncidence comme l'on en rencontre que dans les romans. Un nouveau miracle dans sa vie après le retour de sa compagne. Le coeur bat à se rompre dans sa poitrine, bien qu'il ne le montre que par un léger sourire. Une vie à cacher ses émotions ne s'évanouit pas en un mois dans un pays libre.

Poli, il fait un geste pour inviter la femme à passer devant lui et suit le duo vers une pièce en retrait où trône un magnifique demi-queue Steinway&Son. C'est plus que ce que son masque de bonnes manières ne peut retenir. Un sifflet admiratif échappe à ses lèvres. Hypnotisé, il oublie qu'il est en compagnie et s'avance vers l'instrument de bois, de métal et d'ivoire. Doucement, il enlève un de ses gants, ses longs doigts frôlant la caisse de résonnance, laissant une trace légère sur la poussière recouvrant le verni. Il semble en pas trop mauvais état.

"Значит, они бросили и тебя, мой старый друг"* murmure-t-il dans sa langue natale, indifférent aux explications terriblement terre à terre du vendeur. Si seulement il était riche. Si seulement il avait la place. Il prendrait cet oublié d'un temps passé et le restaurerait, l'accorderait, lui offrirait tous les soins dont il pourrait rêver. Mais il n'avait pas les fonds. Il n'avait pas la place. Et cette pensée lui brisait le coeur.

Comme un automate, il prend place devant le clavier. Ses paupières se ferment tandis qu'il sent du bout des doigts les spécificités du clavier. Quelques arpèges pour commencer montrent que des cordes ont souffert de l'humidité mais dans l'ensemble, il est en excellent état. Cherchant dans sa poche, il en ressort ce qui pourrait faire penser à un couteau suisse mais contient en réalité des outils d'accordeur. Il se lève, se penche dans la caisse pour effectuer quelques réglages sommaires. Ce n'est pas son métier mais, par chance, ce ne sont que des modifications minimes. Quelques arpèges supplémentaires l'informent que ça pourra aller pour le moment.

Il se rassied. Il inspire.

"Pas échauffé je." prévient-il doucement pour éviter que la déception soit trop forte. Et il commence.

Les jardins sous la pluie de Claude Debussy sont l'un de ses morceaux préféré et c'est naturellement qu'il laisse les gouttes de musique perler au bout de ses doigts, de l'averse à l'orage, jusqu'à l'accalmie et la mousson. Il revoit la Provence sous l'eau, les ondées diluviennes de Stockolm, le silence neigeux de Sibérie. Il trouve sans effort chaque note là où elle est sensée être, y mettant la nostalgie d'une époque plus heureuse où la nature n'est plus l'ennemi de l'homme mais un tableau  qui l'accompagne. Il s'y perd totalement, ne s'arrêtant qu'une fois le dernier accord plaqué, la dernière note disparue dans l'atmosphère.

Il n'a pas regardé si ses deux auditeurs étaient assis ou debout. S'ils avaient apprécié ou étaient partis. Il jouait pour eux, certes mais aussi pour lui et surtout pour cet instrument qui n'avait que trop souffert du silence.

* Ainsi, toi aussi ils t'ont abandonné, mon vieil ami.

Gugusse et Guenilles Br2l



Jeu 30 Nov 2023 - 14:56
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À la seconde où les yeux du jeune homme se pose sur l'instrument, je sais que j'avais - encore - eu raison. Ce n'est pas un modeste amateur de musique qui joue de temps en temps pour se distraire. Il est de cette race de gens qui vivent par et pour la musique, indifférents au monde qui les entourent. C'est un passionné, un vrai. J'ai beaucoup de respect pour ces gens-là, et je sais les encourager à exploiter leur talent.

J'écoute, silencieusement admirative, les notes voler à travers la pièce. Le vieil homme, debout à côté de moi, regarde la scène avec un sourire ému, comme si son piano venait de revenir d'entre les morts pour chanter à nouveau. C'est ça que les gens veulent de nos jours : du vrai, de l'authentique, du passionnel. Pas de la bouillie préformatée composée par des traîne-savates, écrite par des analphabètes et chantée par des ados prépubères.

Monsieur Oriyol joue ce qui semblent être les dernières notes de sa musique. On dit qu'après un morceau de Mozart, le silence qui suit est aussi de Mozart. Le silence qui suit la prestation de notre interprète est similaire à ça, c'est le temps nécessaire à nos oreilles pour finir d'apprécier le festin auquel elles ont eu droit, de même qu'on ne se jette pas comme un mort de soif sur son verre après un excellent repas. On le savoure jusqu'au dernier instant, et on ne passe à la suite que lorsqu'il n'en reste plus rien. C'est donc après quelques secondes de silence pur que j'applaudis, suivie immédiatement par le propriétaire des lieux.

- Magnifique, monsieur Oriyol, magnifique. Je vous remercie, c'était exquis.

Je me tourne vers notre hôte, l'œil pétillant.

- Combien le vendez-vous ce piano ? Vous pourriez me le garder quelques jours ici ?

Il commence à balbutier. Avant même qu'il puisse me répondre, je sors mon téléphone pour envoyer un message à mon fils.

Anya a écrit:
Yakov, il me faut un studio d'enregistrement, tu en connais un ? Un petit, un truc familial, tu vois ce que je veux dire. Je veux acheter un studio rapidement. Rappelle-moi quand tu peux. Bisous, je t'aime. Maman

J'ai une petite seconde de surprise avant d'envoyer le message. Maintenant je rajoute spontanément des "bisous, je t'aime" ? Raphael semble avoir eu de l'influence sur moi. Je souris un peu avant de me retourner vers notre pianiste.

- Monsieur Oriyol, est-ce que vous accepteriez d'enregistrer un album de musiques au piano pour moi ? Juste vous et l'instrument, personne d'autre. Je vous signe un contrat dès que possible, qu'en dites-vous ?

Je n'ai jamais trop aimé réfléchir à une idée pendant des heures. Je ne suis pas ce qu'on pourrait appeler une tête brûlée, mais quand l'instinct s'en mêle, je fonce. Je sais très bien que ce que j'ai là, c'est un diamant brut, et je pense qu'à nous deux nous pouvons arriver à quelque chose d'extraordinaire.
Lun 8 Jan 2024 - 14:06
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Il y a toujours un renoncement, lorsqu'il décroche de la musique pour revenir au monde réel. Ainsi, il apprécie les applaudissements à la fin de concerts qui participent à la musique de fin de séance et permettent à l'artiste une sorte de transition entre les notes et les mots.

Mais les applaudissements de deux personnes n'ont pas le même effet, évidemment, que le vrombrissement de toute une salle sortant d'extase. C'est normal. Et les compliments le réveillent un peu trop brusquement de la transe dans laquelle il s'était naturellement plongé. Rougissant un peu, il ne sait trop que dire à Madame Kürt qui, par ailleurs, ne semble rien attendre de lui, se tournant à nouveau vers le gérant en indiquant vouloir acheter le piano. Il sourit à nouveau, toujours tendre envers l'instrument. S'il avait pu, par son modeste talent, donner une nouvelle carrière à l'être de bois et de cordes, alors il en est heureux. Un instrument mérite mieux qu'une arrière salle dans une boutique de curiosité. Sa vie c'est d'être dans un salon, dans une salle de musique. D'avoir des partitions. D'être heurté par des doigts plus ou moins adroits. D'avoir un vase qui se renverse dessus et écaille son verni. Personne ne mérite de vieillir sous une cloche de verre.

C'est Ellen Kurt le chef d'orchestre. C'est elle qui mène la danse et les deux hommes sont suspendus à ses mots, à ses lèvres, tandis qu'elle regarde son téléphone avant de reprendre, vers lui cette fois.

Le musicien marque un temps d'arrêt. Il n'est pas certain d'avoir bien compris et se tourne alors vers le gérant comme pour lui demander de traduire. Ce qu'il fait. Ainsi, il n'avait pas mal compris.

Un peu perdu, il reprend en français, comptant sur le vieil homme pour faire l'interprête. Certaines choses ne peuvent pas, ne doivent pas être dites de façon approximatives.

"Quel style de musique avez-vous en tête ? Avez-vous déjà réfléchi à des morceaux et à la manière de les faire se suivre pour avoir une harmonie générale ? Le piano seul ne se vend pas très bien, vous savez. C'est maintenant plus un instrument d'accompagnement dans un orchestre ou pour une voix. A moins d'être connu comme Lang Lang, Yiruma, Yann Tiersen, Sonya Belousova... et beaucoup d'entre eux ont eu une reconnaissance via les musiques de films, de série ou encore les réseaux sociaux pour les pays qui en possèdent."

Signer un contrat, pourquoi pas mais comme beaucoup d'artistes, Arkadiy ne fait pas que dans un style et s'il est encore méconnu du public, c'est aussi parce qu'il fait attention à ne pas accepter n'importe quoi...

Gugusse et Guenilles Br2l



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Mer 17 Jan 2024 - 16:16
Arkadiy Oriyol
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Jusque là, monsieur Oriyol arrivait à me comprendre sans avoir besoin d'aide, mais pour le moment il a l'air totalement perdu. Il se tourne vers le propriétaire du magasin qui lui traduit ma proposition en français. Il semble perturbé et lui répond en français également, tandis que notre intermédiaire tente de traduire en retour.

Ses doutes l'honorent, mais je pense que ce brave garçon se sous-estime, et sous-estime ma capacité à vendre. C'est mon talent principal : trouver des acheteurs pour ce que d'autres ont créé.

- Je n'ai rien de particulier en tête, je comptais plutôt vous demander de faire comme vous l'entendez. Des musiques de votre composition, des airs classiques, ce qui vous plaît. J'écoutais quelques musiques d'un artiste il n'y a pas longtemps, Ludovico Einaudi, et j'ai trouvé ça un peu désuet, mais par le fait très agréable. Ça fait du bien parfois de sortir un peu de l'air du temps, surtout quand l'air du temps est si oppressant. Alors ne vous en faites pas si vous estimez que les pianistes ne sont plus à la mode, je peux vous garantir qu'il y aura quand même un public pour apprécier s'assoir et se relaxer en vous écoutant, le tout c'est de le trouver. Et ça, c'est mon boulot. Je vous propose seulement d'enregistrer un album dans mon studio - dès que j'aurai un studio -, puis je m'occupe du reste. Vous seriez rémunéré en partie pour le travail de composition et d'enregistrement, et en partie sur les ventes que nous aurons réalisé. Vous ne deviendrez pas millionnaire, mais ça devrait amplement couvrir votre temps de travail. Pour ce qui composera l'album, j'ai une règle très simple : le professionnel c'est vous, pas moi. Si je savais jouer comme vous le faites, je pourrais très bien enregistrer toute seule. Mais je ne le peux pas, alors je vous laisse carte blanche. Faites juste ce qui vous plaît, et faites-le de votre mieux, et tout ira bien.

Je regarde un instant ce garçon. Il semble un peu perdu, incertain de ce que je lui propose. Vu la vitesse à laquelle les choses sont allées, je ne peux pas lui en tenir rigueur. J'ai un petit sourire à son intention.

- Ne vous en faites pas, il n'y a aucune pression, je voudrais seulement que vous fassiez quelque chose qui vous plaît. Quelque chose que vous aimeriez entendre. Je veux juste donner un peu de visibilité à votre talent, et on verra si ça plaît au public. Le pari que je fais, ici, c'est que ce sera le cas.

De toute façon d'ici que je me procure un studio et les techniciens pour bosser dedans, il aura largement le temps de composer ou de s'exercer.
Dim 28 Jan 2024 - 18:04
Ellen Kürt
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Cette femme le perturbe. Elle semble parfaitement sure d'elle et raconte des énormités dont elle ne semble pas avoir seulement conscience. C'était comme s'il venait soudain de gagner au loto, alors même qu'il n'a pas joué. Une erreur de la banque en votre faveur, ça ne se voit que dans les films. Il se demande où est l'arnaque. Pourquoi elle ferait une telle chose. S'il ne doit pas juste embraser le moment et profiter de sa chance.

Il a envie, et il doute. Chat sur le pas de la porte, une patte en avant, une patte en arrière. Il ne pourrait pas ne pas s'en vouloir s'il met cette femme sur la paille.

Et dans un autre temps, avoir un contrat. Faire vivre sa famille. Déménager dans un endroit plus grand. Avoir un piano. Etre un membre constructif d'une communauté au lieu de l'épave qu'il était parfois. Et tout ça sans sacrifier sa passion. Il ne répond pas. Il écoute. Il attend la traduction qui lui confirme ce qu'il pense avoir compris. Ses compositions. Mais elle ne sait même pas ce qu'elles valent. Jouer ce qu'il veut. Il peut jouer tellement de choses. Tellement de style. On ne construit pas un album comme ça avec des pièces au hasard. Il y a des règles. Des choix stratégiques à faire.

Est-ce qu'elle s'y connait ?

Se pourrait-il qu'il ait vraiment du talent ? Non, ça c'est une illusion. Il est doué, oui. Il l'a toujours été. Mais il entend surtout ses échecs.

"Je plais moi jouer." tente-t-il en anglais avant de secouer la tête et de reprendre en français avec un sourire d'excuse pour le pauvre vendeur obligé de s'improviser interprète.

"Votre proposition est plus que généreuse et inespérée, Madame mais je dois à mon honnêteté de vous avertir qu'elle est au mieux hasardeuse pour vous. Si je fais un four, j'aurais un coup à mon estime mais vous, ce sont vos investissements qui vont en souffrir. A moins que vous ne vouliez que je participe à la création du studio, un peu comme les éditeurs à compte d'auteur ? Je n'ai pas ces fonds malheureusement."

On lui avait tellement fait miroiter des arnaques. Il était devenu prudent avec les années. Pour sa fille il devait garder le peu qu'il avait et lui offrir le meilleur. Lui, ça passait après. Et après Faina également puisqu'elle était revenue.

"Je vous prie de ne pas prendre mal mes réticences, je suis très touché par la foi que vous mettez en mes capacités mais pourquoi vous me le proposez à moi ? Nous venons à peine de nous rencontrer. Je ne vous ai joué qu'un morceau et si vous pensez que je l'ai composé, je me dois de vous corriger, il l'a été par un français appelé Claude Debussy. C'est sa musique qui a été prise dans le film Twilight si vous connaissez. Ca l'a remis à la mode."

Pauvre "Clair de Lune" qui méritait tellement mieux qu'un film idiot pour adolescent d'ailleurs. Enfin si ça éveillait une seule vocation, c'était déjà ça. Bref.

"Cela dit, il est amusant de reprendre quelques morceaux d'un style et de les arranger dans un autre. Cela pourrait fonctionner. Je ne sais pas si vous connaissez le groupe allemand The Baseball qui reprennait des morceaux de pop des années 2000 en rockabilly 1920... on pourrait faire quelque chose de ce type sur des classiques canadiens... en jazz par exemple pour plus de rythme...je ne sais pas..."

Il secoua la tête pour chasser les musiques qui lui venaient naturellement à l'esprit. Portant la main à son veston, il attrapa une de ses cartes de visite avec son mail et son téléphone pour la tendre à Madame Kürt.

"Le plus sage, je pense, serait de s'accorder tous deux le temps de la réflexion. Evaluez si vous voulez la faisabilité du sujet. Je peux vous fournir des devis pour des studios ou les prix habituels des prestataires comme les ingénieurs sons et la location du matériel et si vous êtes toujours dans cet état d'esprit dans une semaine, nous pourrions en rediscuter..."

Il était avant tout un professionnel et cela se voyait dans son calme quand il devait parler de ces détails auquel le public ne pensait jamais. Mais un professionnel honnête, pas du tout fait pour la rentabilité...ça se voyait aussi.

Il allait falloir qu'il parle de ça à Faina. Voir ce qu'elle en pensait. Il était souvent trop naïf sur les questions d'argent.

Gugusse et Guenilles Br2l



Mer 6 Mar 2024 - 11:34
Arkadiy Oriyol
Arkadiy Oriyol
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J'écoute attentivement ce qu'il me dit. Lorsqu'il évoque l'idée que je puisse me ruiner sur un projet aussi insensé, je retiens difficilement un petit rire. Rien de méchant ou de condescendant, mais je trouve très drôle qu'on puisse envisager que je me laisserais ruiner, moi. Ce garçon est beaucoup trop modeste, ou alors il ne comprend pas bien ce que je veux. Je ne m'attends pas à ce qu'il me sorte des opéras qui deviendront des légendes immortelles, je veux juste qu'il fasse un album à lui, touchant, quelque chose de personnel, parce que je sais qu'il y aura toujours un public à qui ça plaira. Sa façon de jouer est trop sincère pour qu'il ne gagne pas au moins un léger succès. J'admire la lueur dans ses yeux quand il me parle de groupe allemand, de rockabilly, de jazz... Je ne comprends rien à tout ce qu'il raconte. Mais la passion qu'il a en parlant de musique me confirme que je fais le bon choix. Je ne crois pas que les gens sincères dans leur démarche puissent être vraiment mauvais. Mine de rien, il parle beaucoup, et un peu vite. Heureusement qu'il y a le vieil homme qui nous traduit tout. Je saisis la carte qu'il me tend pour y jeter un œil, et je lui souris pour lui répondre.

- Ne vous en faites pas monsieur Oriyol, je ne suis pas du genre à prendre des risques. Je ne mets jamais tous mes œufs dans le même panier. Même si l'affaire s'écroulait vraiment, j'ai encore très largement de quoi rebondir. Mais j'aime bien tenter, donner leur chance aux gens. Et de toute façon je voulais un studio, pour mon fils. Je l'achèterai juste un peu plus tôt que prévu. Merci pour votre carte, je vous recontacterai vite.

Je relève mon regard vers notre hôte. On occupe sa boutique depuis un moment maintenant, et il ne sera pas dit que son hospitalité n'aura pas été récompensée. Je désigne le piano du doigt.

- Je vous le prends, lui dis-je pour confirmer. Soyez aimable de le garder pour le moment, j'enverrai quelqu'un le récupérer dès que j'aurai un endroit pour le ranger.

Je me dirige vers son comptoir, carte de paiement en main. Un peu balbutiant, il me tend l'appareil à carte.

- Je vous ai fait une petite ristourne sur le prix, me dit-il un peu timidement, comme s'il s'excusait de devoir me faire payer son piano.
- Merci beaucoup monsieur, c'est très gentil. Je suis ravie d'être passée dans votre magasin. Monsieur Oriyol, je vous remercie également pour cet excellent moment, j'espère vous revoir au plus vite. Bonne journée.

Je ressors alors de la boutique, avec dans une main la facture, preuve que je possède maintenant un piano, et de l'autre mon téléphone, pour voir si par miracle mon fils aurait déjà réussi à me trouver un écrin digne de cet instrument.
Ven 24 Mai 2024 - 22:18
Ellen Kürt
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