Flora voyait bien que les gars hésitaient sur la conduite à tenir. Ils n’avaient pas l’air bien certains qu’elle soit sa fille, mais de toute façon, il était évident qu’il n’allait pas les laisser s’amuser avec leur petite proie. La question qu’ils étaient, de toute évidence, en train de se poser était de savoir si cela valait le coup de se fritter avec ce type pour arriver à la gosse. Il était plus que probable, vu son gabarit qu’ils ne seraient pas capable d’en venir à bout sans un minimum de bleus et de bosses, dont ils n’avaient probablement pas envie.

« Laisse tomber, ça vaut pas le coup. Elle a rien de spécial, t’façon, on trouvera mieux. »

Ils s’esquivèrent, laissant l’homme et la petite innocente en tête-à-tête. La peur que la jeune femme avait eue se manifesta de plein fouet alors que la paralysie qu’elle ressentait face à leur agression s’atténuait. Ses jambes lâchèrent prise et elle s’effondra, à genoux, des larmes coulant sur ses joues, silencieusement. Elle s’appuyait sur le sol, mais elle ne sanglotait pas. Ce n’était que l’émotion qui s’évacuait, étonnamment calmement. Elle avait l’impression d’avoir comme des flashs mais sa mémoire lui faisait toujours défaut. C’était déroutant, angoissant, presque déprimant. Elle ne savait pas comment se relever de cette sensation, presque une nausée.

Elle aurait voulu remercier l’homme de son aide, elle aurait voulu lui dire combien elle lui était reconnaissante de ce qu’il avait fait pour elle, mais elle n’en avait pas la force, pas dans l’immédiat. Elle ne pouvait même plus se porter elle-même. Elle savait que sans lui, elle n’aurait pas pu faire le poids, et elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle serait alors devenu. Elle n’aurait certainement pas été dans de beaux draps, et on n’aurait certainement pas pris soin d’elle. Et elle était incapable de se défendre contre cela. Incapable de se protéger de tout cela.

« Je suis désolée… », murmura-t-elle.

Ce qu'il y avait de confortable dans cette histoire, c'était que tant que cet homme était devant elle, c'était lui qui gérait et elle avait juste à faire attention au cas où les choses tourneraient mal. Mais une fois la situation débloquée, Flora s'écroula à la fois de soulagement et de peur. Lorsque la peur n'avait plus de raison d'être et qu'elle s'est évacuait, cela pouvait vous couper les jambes. Elle aurait voulu être plus forte et mieux réussir à contrôler ses émotions. Mais il ne fallait pas se mentir, on en était loin. En fait, elle ne s'était jamais vraiment rendu compte, enfin tout au moins depuis son amnésie, de ce que cela faisait d'être dans une telle situation de danger et il était évident que c'était paralysant.

Elle s’en voulait et ne pouvait s'empêcher de s'excuser à l'adresse de l'homme qui l'avait sauvée. Elle n'était pas capable de le remercier comme il se devait et elle craquait. Ce n'était pas quelque chose dont elle était fière, mais il ne lui en voulut pas et elle lui fut reconnaissante pour cela aussi. Il continuait d'être dans la douceur et le soutien et elle se rendit compte qu’elle connaissait peu de personnes qui auraient cette capacité à ne pas juger la faiblesse et la fragilité dont elle faisait preuve. Elle croisa son regard alors qu'il lui affirmait qu'elle pouvait prendre le temps dont elle avait besoin.

« Merci, Monsieur. »

Où elle allait et ce qu'elle faisait à cet endroit, elle mit un petit instant avant de s'en souvenir. Tout ceci lui avait fait un drôle d'effet et elles se rendait bien compte à quel point il était difficile d'avoir des idées cohérentes après ce genre de mésaventure. Elle ne put s'empêcher de se demander si c'était quelque chose qu'elle avait ressenti quelques semaines auparavant dans ce parc où on l'avait retrouvée dans une situation compliquée. Ce n'était absolument pas impossible parce qu'il avait fallu quelque chose de fort pour que son esprit se ferme tout brutalement, comme cela.

« Je… Au commissariat de police. Je travaille là-bas. Je me suis perdue, je crois. »

Pourquoi elle avait tant de mal à se remettre des chocs ? Alice se posait systématiquement la question dès qu'il lui arrivait quelque chose de troublant. En réalité, la réponse, elle la connaissait. Elle était toujours sous l'effet de ce qui s'était produit juste avant sa perte de mémoire. Elle n'avait jamais su ce qui était advenu, mais elle savait que ça influençait ses réactions dès qu'elle se confrontait à quelqu'un d’hostile. Elle ne pouvait pas résister. La peur prenait le dessus et c'était encore un miracle qu à un moment donné, elle ne crie pas le nom de Julian, son protecteur jusqu'à présent.

Mais même si elle était quelque peu angoissée et qu'elle ne manquait pas de trembler simplement en pensant à ce qui aurait pu lui arriver, la demoiselle parvint à expliquer à son sauveur comment il se faisait qu'elle s'était retrouvée dans une situation aussi complexe. Elle ne pouvait même pas dire que c'était idiot de s'être installée dans une ville qu'elle ne connaissait pas. Avec son amnésie, elle ne connaissait aucune ville. Il n'y avait aucune circonstance facilitante dans toute cette affaire. En fait, la seule chose qu'elle pouvait dire, c'était que cet homme était vraiment quelqu'un qu'il était bon d'avoir de son côté.

« Ce serait plus facile pour moi si vous saviez m'indiquer la route effectivement… »

Mais la vérité, c'était qu'elle ne se sentait pas vraiment de marcher tout de suite. Elle avait été sacrément sonnée, et elle avait besoin de retrouver son calme, ainsi qu'une certaine quiétude, avant de pouvoir retourner à son travail. Alors, lorsque l'homme lui proposa une boisson chaude, elle secoua la tête doucement. C'était une bonne idée. Cela lui permettrait peut-être de retrouver les idées claires et puis, elle devait admettre qu'elle était curieuse de connaître un peu mieux cet homme qui était venu à son secours. Elle n'était évidemment pas certaine qu'il veuille parler de lui, mais cela lui ferait plaisir.

« Je veux bien boire quelque chose de chaud avant de repartir si ce n'est pas trop de dérangement pour vous. »

Elle n'avait pas forcément prévu de se retrouver attablée autour d'une boisson, chaude ou froide, durant ce laps de temps, mais après tout, c'était un moyen de conclure sa promenade et la terreur par laquelle elle était passée. Elle ne savait toujours pas qui était exactement son sauveur mais il semblait être une personne de confiance et il se montrait doux et bienveillant avec elle. Elle préférait l'avoir à ses côtés et avoir le sentiment d'un peu plus de sécurité que ce n'était le cas lorsqu'elle était toute seule. Ça n'avait plus eu d'importance depuis longtemps, mais en ce moment précis, ça en avait.

Elle voulait bien se fier à lui pour ce qui étaient du choix du lieu dans lequel ils allaient partager un moment. De toute façon, elle ne se sentait pas vraiment en mesure de prendre des décisions pour le moment. Tant qu'elle pouvait retrouver un minimum d'énergie et de cohérence pour reprendre le travail, cela lui suffirait. Elle n'avait pas envie que ses protecteurs s'inquiètent à son sujet. Ils auraient sûrement des raisons de s'inquiéter, mais elle était comme ça et pas du genre à accepter l'idée de causer de l'inquiétude. L'homme se présenta et lui sourit, probablement plus pour le rassurer que spontanément.

« Flora. Je suis enchantée de faire votre connaissance. Et il serait ravi de prendre une bonne pâtisserie », répondit-elle.

Ce n'était pas son vrai nom, mais il conviendrait aussi bien qu'un autre tant qu'elle ne se rappelait pas qu'elle était le sien. Il était l'une des rares choses qui lui évoquaient un sentiment de familiarité mais uniquement parce que c'était le prénom que Julian lui avait choisi. Il était ce qu'elle avait de plus proche à présent et il pouvait s'estimer heureux qu'elle ait réussi à faire en sorte de ne plus avoir ce besoin de sa présence constante. Elle savait que son impulsion de se raccrocher à lui spontanément n'était dû qu’au fait qu'il l'avait efficacement protégé et qu'elle se sentait donc spontanément en sécurité à ses côtés.

« Les employés du commissariat vont se poser des questions si je ne rentre pas de ma promenade rapidement, mais j'ai encore un peu de temps devant moi, je crois… je ne sais pas vraiment quelle heure il est. »

Et il était évident que cet incident lui avait complètement fait perdre la notion du temps. Ce n'était pas dans ces conditions qu'elle pouvait évaluer efficacement combien de temps était passé depuis qu'elle avait quitté les lieux, d'autant plus qu'elle s'était perdue entre-temps.

Flora n'avait pas seulement toute son identité à redécouvrir. Il y avait aussi les différents goûts qu'elle pouvait avoir et tout ce qui pouvait se passer entre les deux. Malheureusement, lorsqu'on se retrouvait du jour au lendemain à être une page blanche, il était difficile de tout reconstituer. Alors, elle faisait principalement des tests. Heureusement, on avait un certain nombre d'occasions de faire des tests de gourmandises sucrées, et elle avait donc une vague idée d'un ensemble de choses qu'elle pourrait apprécier de déguster. Dans une certaine mesure néanmoins, car elle ne savait pas ce que cette pâtisserie proposait.

« Je vais jeter un coup d'œil. Je ne sais pas ce qu'ils font ici. »

Mais elle était capable de faire deux choses en même temps. Elle pouvait donc parfaitement tenir la discussion pendant qu'elle choisissait ce qu'elle allait manger. Elle se sentait déjà mieux et c'était probablement dû à la présence de cet homme qui avait réussi à la rassurer un peu. Mais elle savait quand même qu'elle ne se sentirait pas à l'aise à se balader dans les environs pendant quelques temps à moins d'apprendre à se défendre. En travaillant au commissariat, elle se dit qu'elle devrait peut-être prendre quelques leçons, il y avait là-bas quelques combattants émérites.

« Oh oui, c'est bien possible. Comment est-ce qu'il s'appelle ? »

La carte n'était pas longue à lire et Flora connaissait quelques-uns de ses acquis qui lui permettaient de faire un choix plutôt sécurisé dans ce genre de situation. Quand le serveur vint s'informer de leurs commandes, et que son sauveur déclama la sienne sans aucune hésitation, elle adressa un gentil sourire au serveur avant de demander ce qui lui faisait envie sans hésiter beaucoup plus. Elle avait mis un peu de temps avant de se décider sur la tisane, mais sachant qu'elle venait d'avoir un choc et qu'elle n'avait pas envie de s'endormir au travail, elle s'était décidée.

« Je vais vous prendre une tartelette à la fraise et une camomille, s'il vous plaît », déclara-t-elle en reposant la carte.

Elles se rendait compte qu'elle ne savait pas vraiment ce qui était classique et ce qui était spécial. C'était une façon un peu étrange de voir les choses, mais c'était très concret. Elle avait tout à redécouvrir. Elle suivit son instinct pour faire son choix, mais elle ne savait pas vraiment où elle en était. Que ce soit son amnésie ou l'agression dont elle avait failli être victime, tout cela avait tendance à la dérouter un peu. Mais elle s'adaptait de plus en plus, affrontant les situations inédites d'une manière tout aussi surprenante. Elle savait bien qu'il n'y avait aucune raison pour chercher à se compliquer la vie, mais c'était quelque chose auquel elle arrivait assez bien naturellement.

La commande passée, son sauveur s'entretint d'un de ses amis qui travaillait au commissariat. La description lui disait quelque chose, le nom un peu moins. Il était possible qu'il la connaisse alors qu'elle ne le connaissait pas vraiment. Elle était devenue un genre de mascotte là-bas et à peu près tout le monde avait entendu parler d'elle. En revanche, elle n'avait pas encore mémorisé les noms de tout le monde et encore moins sympathisé avec chacun d'entre eux. C'était plus compliqué dans ce sens-là. Ça ne voulait pas dire qu'elle n'en avait pas envie et elle serait même curieuse, maintenant qu'il y avait eu ce contact avec quelqu'un qu'il connaissait.

« Ca me dit vaguement quelque chose mais je ne lui ai pas vraiment parlé, je crois. La plupart des gens me traitent comme un genre de mascotte. C'est sympa, mais je dois reconnaître qu'il y a plus de gens qui me connaissent que l'inverse. »

Dans la mesure où elle se connaissait déjà très mal elle-même, mais c'était une autre histoire. La question de savoir si elle était en ville depuis longtemps, elle y était depuis qu'on l'avait ramenée sans mémoire mais avant, elle était totalement incapable de dire où elle se trouvait. il était possible qu'elle soit en ville ou peut-être pas et si elle l'était, c'était probablement sous un autre nom. C'était vraiment compliqué d'être totalement au fait de ce qu'on vivait quand on était confronté à une absence de mémoire comme la sienne.

« Bon appétit ! On m'a ramené en ville il y a quelques semaines. Un inspecteur de police. Je m'accrochais à lui comme un sauveur ultime, j'étais complètement terrorisée. Je n'ai aucune idée de la raison. Je ne m'en rappelle pas. Je dois dire que je ne me rappelle pas grand-chose. quand il m'a trouvée, je ne savais même plus qui j'étais. J'étais juste complètement paniquée. »