Un gargouillement lugubre retentit et se répercute sur les parois de pierre et de métal. L'estomac du jeune garçon semble se tortiller à l'intérieur de son ventre. Depuis combien de temps n'a-t-il rien mangé ? Difficile à dire. Depuis combien de temps est-il perdu ici ? Il ne le sait pas davantage. Il pourrait jurer que cela fait des jours, mais cela ne fait peut-être que quelques heures. Peut-être effectivement des jours. Comment le savoir ? La lumière du soleil n'arrive pas jusqu'ici, impossible de vérifier si c'est la nuit ou le jour dehors. Le clapotis bruyant de l'eau à côté de lui rend imperceptible le moindre son. Il est isolé, bien plus encore qu'il pensait l'être de prime abord. Il n'est pas simplement seul ici, il est aussi coupé du monde extérieur en tous les points. Bien déterminé à essayer de trouver une sortie, il avance, inlassablement, guidé par cet instinct ancestral : "je veux ma maman".

Des sorties, il y en a plein au-dessus de lui, il le sait. Mais ses petits bras d'enfant n'ont pas la force de soulever les lourdes plaques qui mènent à la liberté. Il doit bien exister des ouvertures, puisque c'est par l'une d'elles qu'il est rentré, mais depuis il a tellement marché sans vérifier où il allait qu'il ne parvient pas à la retrouver, ni aucune d'entre elles d'ailleurs. Il a beaucoup pleuré dans les premiers temps après avoir constaté qu'il était égaré, il n'a plus la force pour ça, plus le temps non plus, peut-être même plus de larmes. Il sait qu'il doit économiser l'eau de son corps, car la soif se fait de plus en plus violente, et l'eau qui coule à côté de lui est d'une couleur qui dissuade de faire un essai. Poussé par le besoin, il a tout de même essayé d'en prendre une gorgée, malgré son dégoût, mais il a tout recraché immédiatement. Ce qui coule, en définitive, ce n'est pas de l'eau. En tout cas, pas que. Une petite voix en lui chuchote que ce qui arrive, c'est de sa faute. Les ennuis n'arrivent qu'aux vilains garçons. Il avait forcément dû être méchant, sinon il n'en serait pas là. Il aurait dû être un plus gentil petit garçon.

Il se dit qu'il n'y a rien de plus terrible au monde que d'être aussi seul. C'est parfaitement faux. Il ne le sait pas encore, mais il est sur le point de l'apprendre, durement. Par-dessus le bruit aquatique, il lui semble percevoir un petit couinement. Comme s'il avait marché sur un petit jouet pour chien. Il n'y a pourtant rien d'autre sous ses pieds que la pierre froide et humide. Mais le couinement continue. De plus en plus fort. Et d'autres commencent à se joindre à lui. En regardant autour de lui, il lui semble percevoir de faibles lueurs dans l'obscurité. Toutes petites, presque invisibles, presque toujours par paires. Elles s'allument, les unes après les autres, comme un ciel dont les étoiles feraient leur apparition dans un ordre chaotique. Des étoiles menaçantes, jaunes, qui le fixent sans ciller. Les couinements emplissent l'atmosphère, ils couvrent presque le bruit de l'eau. Subitement, des lueurs se tiennent par terre, juste devant lui. Ce sont les yeux d'un rat. Il est immonde, énorme, noir, sale, et tout son être inspire la terreur. Il semble très agressif, couine en montrant ses dents, debout sur ses pattes arrière. Subjugué, le petit garçon essaie de reculer, mais il sent qu'il marche sur quelque chose qui se dérobe en couinant. Il fait volte-face : encore un rat, aussi antipathique que le premier. Son regard se promène sur les parois, d'où ils apparaissent peu à peu. Ils sont des centaines, peut-être des milliers. Des milliers de petites créatures abjectes, qui le regardent avec un mélange de menace et d'appétit. Car il est composé de viande, ce petit garçon, il le sait, et il ne doute pas que les rats le savent aussi. Bientôt, c'est comme s'il n'y avait plus de murs, plus de plafond, plus de sol. Juste des rats, partout, tout le temps. L'enfant reste paralysé un moment, jusqu'à ce que l'un d'eux le morde au mollet. Alors, dans un hurlement, il fait demi-tour et s'enfuit de toute la vitesse de ses petites jambes, sans savoir où il va, se perdant un peu plus dans le dédale souterrain. Il entend les rats derrière lui, certains arrivent encore à lui grignoter les chevilles, il sait qu'il ne peut pas les distancer. Il tourne, à droite, à gauche, et subitement il s'arrête net. Devant lui, il n'y a qu'un mur. Le tunnel ne va pas plus loin. Il est piégé, comme un rat. Il se retourne en tremblotant, des spasmes dans la gorge, les larmes qui coulent sur ses petites joues sales. La masse informe et grouillante se rapproche de lui, tout doucement, comme si elle savait qu'il ne sert à rien de se presser. Il ne pourra pas partir.

Désespéré, le garçon se laisse choir au sol, la tête enfouie dans ses bras, et attend son sort. Il n'y a plus rien à faire. Plus rien d'autre que cette ultime prière sanglotante.

- Maman.... Maman....