Ma forme animale est devenue une nécessité, ces derniers temps. Moi, sur qui la colère n'a aucune prise, a besoin d'extérioriser toute cette tension. Je ne sais pas si je la cumule et elle sort d'un coup, ou si c'est juste là, naturellement. Je commence à avoir du mal à me concentrer sur quoi que ce soit et je décide qu'il est plus que temps de laisser sortir La Bête en moi.

J'ai jeté mon dévolu sur une matinée calme et fraîche où je me suis réveillé particulièrement tôt. J'inspire avant d'hésiter sur la marche à suivre. L'idée de me transformer ici et tout de suite est réellement tentante, mais il reste encore trop de peur en moi, trop d'incertitudes concernant les chasseurs. Si je suivais mon instinct, ici et maintenant, je risquerais de me mettre, moi et d'autres, en grand danger. Autant s'éloigner de l'église à grandes foulées, trouver un endroit tranquille et à l'abri des regards, et cacher mes vêtements avant de me transformer...



Au moment où mon sabot se pose sur le sol, je me sens infiniment mien. D'ailleurs, il est immédiatement suivi par une cavalcade un rien ponctuée de sauts et de bêlements. Si j'étais inquiet qu'on me voit, ce n'est plus mon cas. Plus du tout. J'ai envie de galoper sans penser à rien, et surtout pas aux conséquences de mes actes. La Bête est ainsi : elle vit dans l'instant.

Je bondis sur un rocher, sur un tronc d'arbre, repars en arrière, rebondit sur une butte. J'ai l'impression de danser sur un rythme que mes sabots imposent. Même le soleil semble paresseux à se lever comparé à toute l'énergie que le déploie. C'est alors que je sens mon cœur battre dans ma poitrine que j'arrive dans une prairie avec de l'herbe haute. Toujours en bondissant, je continue ma course jusqu'à l'orée de la forêt, sans penser une seule seconde à un éventuel spectateur... ou même à penser à me souvenir de mon chemin.