Qui suis-je pour vous ?
Ft @Camélia Deauclaire
À peine est-elle partie qu'elle me manque déjà cruellement. C'est impressionnant comme je pouvais trouver cette phrase niaise auparavant, et la comprendre tout à fait à présent. J'ai passé 48... 49 ans sans elle, et j'ai l'impression que le temps n'est plus le même. Oui, c'est cela, je me sens incomplet, comme si elle était partie avec quelque chose de moi, et que j'avais gardé quelque chose d'elle qu'il me tarde de lui apporter à nouveau. J'ai du mal à me concentrer sur mon autre patient, un homme pourtant assez sympathique, mais que je trouve inintéressant malgré moi. Il est arrivé tard, et le rendez-vous a été très efficace. C'est quand je lui annonce qu'il aura certainement des douleurs à son genou dans la soirée que je me fige, provoquant la panique de mon pauvre patient...
... Je n'ai pas dit à Camélia qu'elle aurait peut-être des sensations étranges au niveau de son dos, et de ses épaules, et je ne l'ai même pas prévenue. Certes, je la vois tout à l'heure, et il sera bien assez tôt, mais je me demande tout de même à quel point ce lien peut me chambouler pour que je sois à ce point devenu non professionnel. Et puis je pense à ce que nous avons fait, sur cette même table, et un frisson me parcourt tout le corps, comme une décharge électrique d'une telle intensité que j'en entends mon cœur battre.
"Monsieur, est-ce que tout va bien ? ?"
Sur le point de répondre que non, tout ne va pas bien, nous vivons dans une société un peu trop capitalisante, et il y a de plus en plus de dérèglements climatiques chaque année... Je comprends enfin la question.
"Votre genou va très bien. Vous allez ressentir des tiraillements d'ici à 6 heures. Évitez de vous maintenir debout statique pendant tout le temps de la douleur. Vous pouvez marcher, monter des escaliers vous fera du bien, mais restez tranquille si vous le pouvez."
Ma secrétaire m'envoie un buzz pour m'annoncer son départ en prenant la voix d'une petite fille et en disant "J'ai fini mon travail... est-ce que je peux rentrer chez moi, maintenant, s'il vous plaît ?" je la congédie sans sourciller, ce qui ne manque pas de l'étonner. Non, elle n'a pas réussi à me perturber pour ce soir, je le suis bien assez. Mon visage est neutre malgré ses pitreries, et il me semble que cela l'agace un peu. Je sais que demain, j'aurais sans doute droit à une double dose.
Je range mes affaires, et rentre chez moi en bus et au petit trot. Dans l'entrée de mon appartement, je constate que mon intérieur est propre mais... presque bordélique. Je le vois d'un œil neuf et je me rends compte d'à quel point j'ai vécu seul trop longtemps et que j'ai vraiment ma propre logique. Je reste une minute de trop, à me demander si je ne devrais pas faire un brin de rangement. Puis je me déshabille et saute dans la douche. Moins de dix minutes plus tard, je suis propre, sec, et habillé d'un costume noir pour mon rendez-vous. Je sais qu'il n'est pas de la dernière mode, mais j'ai toujours trouvé que les habits désuets m'allaient mieux. Une nouvelle hésitation de quelques secondes avant de décrocher le téléphone pour réserver une table. Je suis si nerveux qu'il faut que je répète plusieurs fois ma requête avant que la personne ne la comprenne. Elle s'amuse de l'heure (à savoir 19h42) et me dit que c'est noté, en outre, elle me dit que j'aurais droit à une réduction.
Le bus déambule paresseusement jusqu'au centre-ville et quand j'en descends, je me fige à nouveau, pétrit d'un énorme doute : dois-je lui amener des fleurs, ou quelque chose du genre ? Un cadeau ? Cette hésitation-là me dure une dizaine de secondes avant que je ne me fasse bousculer par quelqu'un. J'entre dans un magasin que j'affectionne particulièrement, et en ressors quelques secondes plus tard avec une peluche de poney sous le bras.
Finalement, je suis sur les lieux et ralentit mon pas, juste pour le plaisir d'y être à l'heure pile. Mon calcul se révèle exact quand mon premier pas dans la rue St Paul coïncide parfaitement avec l'enclenchement du 19h37 de ma montre. J'inspire et expire de satisfaction avant de chercher la femme de mes pensées du regard, mon autre moitié.
Est-elle ponctuelle ? Aime-t-elle se faire désirer ? Quelle que soit la réponse, je sens que je vais l'adorer.
14 avril 2023
À peine est-elle partie qu'elle me manque déjà cruellement. C'est impressionnant comme je pouvais trouver cette phrase niaise auparavant, et la comprendre tout à fait à présent. J'ai passé 48... 49 ans sans elle, et j'ai l'impression que le temps n'est plus le même. Oui, c'est cela, je me sens incomplet, comme si elle était partie avec quelque chose de moi, et que j'avais gardé quelque chose d'elle qu'il me tarde de lui apporter à nouveau. J'ai du mal à me concentrer sur mon autre patient, un homme pourtant assez sympathique, mais que je trouve inintéressant malgré moi. Il est arrivé tard, et le rendez-vous a été très efficace. C'est quand je lui annonce qu'il aura certainement des douleurs à son genou dans la soirée que je me fige, provoquant la panique de mon pauvre patient...
... Je n'ai pas dit à Camélia qu'elle aurait peut-être des sensations étranges au niveau de son dos, et de ses épaules, et je ne l'ai même pas prévenue. Certes, je la vois tout à l'heure, et il sera bien assez tôt, mais je me demande tout de même à quel point ce lien peut me chambouler pour que je sois à ce point devenu non professionnel. Et puis je pense à ce que nous avons fait, sur cette même table, et un frisson me parcourt tout le corps, comme une décharge électrique d'une telle intensité que j'en entends mon cœur battre.
"Monsieur, est-ce que tout va bien ? ?"
Sur le point de répondre que non, tout ne va pas bien, nous vivons dans une société un peu trop capitalisante, et il y a de plus en plus de dérèglements climatiques chaque année... Je comprends enfin la question.
Ma secrétaire m'envoie un buzz pour m'annoncer son départ en prenant la voix d'une petite fille et en disant "J'ai fini mon travail... est-ce que je peux rentrer chez moi, maintenant, s'il vous plaît ?" je la congédie sans sourciller, ce qui ne manque pas de l'étonner. Non, elle n'a pas réussi à me perturber pour ce soir, je le suis bien assez. Mon visage est neutre malgré ses pitreries, et il me semble que cela l'agace un peu. Je sais que demain, j'aurais sans doute droit à une double dose.
Je range mes affaires, et rentre chez moi en bus et au petit trot. Dans l'entrée de mon appartement, je constate que mon intérieur est propre mais... presque bordélique. Je le vois d'un œil neuf et je me rends compte d'à quel point j'ai vécu seul trop longtemps et que j'ai vraiment ma propre logique. Je reste une minute de trop, à me demander si je ne devrais pas faire un brin de rangement. Puis je me déshabille et saute dans la douche. Moins de dix minutes plus tard, je suis propre, sec, et habillé d'un costume noir pour mon rendez-vous. Je sais qu'il n'est pas de la dernière mode, mais j'ai toujours trouvé que les habits désuets m'allaient mieux. Une nouvelle hésitation de quelques secondes avant de décrocher le téléphone pour réserver une table. Je suis si nerveux qu'il faut que je répète plusieurs fois ma requête avant que la personne ne la comprenne. Elle s'amuse de l'heure (à savoir 19h42) et me dit que c'est noté, en outre, elle me dit que j'aurais droit à une réduction.
Le bus déambule paresseusement jusqu'au centre-ville et quand j'en descends, je me fige à nouveau, pétrit d'un énorme doute : dois-je lui amener des fleurs, ou quelque chose du genre ? Un cadeau ? Cette hésitation-là me dure une dizaine de secondes avant que je ne me fasse bousculer par quelqu'un. J'entre dans un magasin que j'affectionne particulièrement, et en ressors quelques secondes plus tard avec une peluche de poney sous le bras.
Finalement, je suis sur les lieux et ralentit mon pas, juste pour le plaisir d'y être à l'heure pile. Mon calcul se révèle exact quand mon premier pas dans la rue St Paul coïncide parfaitement avec l'enclenchement du 19h37 de ma montre. J'inspire et expire de satisfaction avant de chercher la femme de mes pensées du regard, mon autre moitié.
Est-elle ponctuelle ? Aime-t-elle se faire désirer ? Quelle que soit la réponse, je sens que je vais l'adorer.